De quel droit ? INDIGNEZ-VOUS : LE FICHIER ARES

Avez-vous entendu parler d’ARES ? Si tel est le cas, c’est que vous avez lu la presse et la réaction de votre serviteur et de l’Automobile Club des Avocats (ACA), contre ce fichier.

Si tel n’est pas le cas, vous devriez vous y intéresser….

ARES cela signifie en termes technocratiques : « Automatisation du registre des entrées et sorties des recours en matière de contravention ». En termes simples, il s’agit de ficher ceux d’entre vous qui contestent leurs contraventions, celles des quatre premières classes, c’est-à-dire les moins graves, celles qui constituent l’immense majorité des verbalisations du défaut de paiement de l’horodateur lors d’un stationnement aux petits excès de vitesse.

En effet, un arrêté du 20 février 2012 paru au Journal Officiel le 16 mars 2012 autorise la préfecture de Paris, et demain toutes les préfectures de France, à collecter, le nom, l’adresse, les informations sur la « vie professionnelle », celles relatives à la date, au lieu, à la nature de la contravention, de l’auteur de l’infraction ou du propriétaire du véhicule.

Pourquoi ARES ?

Pour soi-disant produire des statistiques et optimiser le traitement des contestations. Les dangers que comporte cette mesure sont évidents.

Les contestations répétées des contraventions sont depuis plusieurs années vues comme une forme d’incivilité par les pouvoirs publics qui font tout pour les décourager. Les contestataires encourent désormais le risque d’être profilés comme peuvent l’être les criminels. D’autant que les fichiers sont un jour où l’autre destinés à être croisés avec d’autres fichiers surtout lorsqu’ils sont administrés, comme c’est le cas en l’espèce, par des fonctionnaires de police. On voudrait tenter de dissuader l’automobiliste de faire valoir ses droits en justice que l’on ne s’y prendrait pas autrement !

 ARES EST-IL LEGAL ?

Certes les fichiers fleurissent depuis longtemps, certes l’on s’y habitue peu à peu, certes ils sont parfois utiles. Celui-ci ne l’est pas. Les critères qui doivent présider à la création d’un fichier ne sont pas réunis. Plus particulièrement le premier d’entre eux, celui de la légitimité de sa finalité. C’est ce qu’a récemment rappelé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 26 octobre 2011 rendu à propos du passeport biométrique. Dans le cas du passeport biométrique, les enjeux sont évidents et s’imposent à tout un chacun. Malgré la nécessité pour la France de se doter d’un passeport biométrique performant, le Conseil d’Etat, tout en admettant la création d’un fichier central des passeports, a, dans l’exercice de sa mission de garant des libertés publiques, annulé les dispositions du décret prévoyant la collecte de huit empreintes digitales alors que seules deux étaient destinées à figurer dans le passeport.

Sur le plan des principes, le Conseil d’Etat rappelle que « l’ingérence dans l’exercice du droit de toute personne au respect à sa vie privée que constituent la collecte, la conservation et le traitement par une autorité publique, d’informations personnelles nominatives ne peut être légalement autorisée que si elle répond à des finalités légitimes et si le choix, la collecte et le traitement des données sont effectués de manière adéquate et proportionnées au regard de ses objectifs ».

L’examen approfondi des garanties de fonctionnement prévues par le décret a cependant permis au Conseil d’Etat d’autoriser la création du fichier.

Plus récemment encore, le Conseil Constitutionnel, saisi par des députés et des sénateurs, a, dans sa décision n°2012-652 DC du 22 mars 2012, confirmé cette analyse.

La motivation de la décision mérite d’être citée tant elle est pertinente et en partie transposable au fichier ARES :

« Considérant, toutefois, que, compte tenu de son objet, ce traitement de données à caractère personnel est destiné à recueillir les données relatives à la quasi-totalité de la population de nationalité française ; que les données biométriques enregistrées dans ce fichier, notamment les empreintes digitales, étant par elles-mêmes susceptibles d’être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu, sont particulièrement sensibles ; que les caractéristiques techniques de ce fichier définies par les dispositions contestées permettent son interrogation à d’autres fins que la vérification de l’identité d’une personne ; que les dispositions de la loi déférée autorisent la consultation ou l’interrogation de ce fichier non seulement aux fins de délivrance ou de renouvellement des titres d’identité et de voyage et de vérification de l’identité du possesseur d’un tel titre, mais également à d’autres fins de police administrative ou judiciaire ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur de ce traitement, à ses caractéristiques techniques et aux conditions de sa consultation, les dispositions de l’article 5 portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, les articles 5 et 10 de la loi doivent être déclarés contraires à la Constitution ; qu’il en va de même, par voie de conséquence, du troisième alinéa de l’article 6, de l’article 7 et de la seconde phrase de l’article 8

Aucune garantie ne figure dans l’arrêté du 20 février 2012 signé par le Ministre de l’intérieur et c’est une grande partie de la population française qui risque d’être fichée sans raison.

Il y a donc tout lieu d’espérer que le Conseil d’Etat annule l’arrêté du 20 février 2012.

LE CONSEIL D’ETAT S’INDIGNERA-T-IL ?

En effet, outre l’illégitimité de l’objectif poursuivi et son caractère disproportionné au regard de l’atteinte aux libertés publiques, l’arrêté en question ne prévoit aucune garantie dans le fonctionnement du fichier : la durée de conservation, de cinq ans, est à notre sens totalement excessive et n’est absolument pas justifiée par le but annoncé par le ministère de l’intérieur, rien n’est dit concernant les cas où la contestation aboutit à la relaxe de l’intéressé, et le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 sur le traitement des données personnelles est purement et simplement supprimé. Que la CNIL ait validé un tel dispositif a de quoi surprendre et décevoir. Espérons en revanche que le Conseil d’Etat se montrera plus perspicace. Un recours contre cet arrêté est évidemment en cours de préparation. Vous serez aux premières loges pour connaitre le résultat de cette procédure qui nous concerne tous.

Jean-Charles Teissedre

Avocat au barreau de Montpellier

www.teissedre-avocats.com