
Automobile : l’Europe face à ses responsabilités
Les constructeurs continuent de s’inquiéter des décisions aveugles de la Commission Européenne en matière d’émissions de CO2 dans le milieu automobile. Certains, peut-être mois prêts que d’autres, demandent à l’Europe un report des mesures les plus proches dans le temps.
Didier LAURENT
L’objet des tensions n’est pas l’interdiction des moteurs rejetant du CO2 en 2035, mais plutôt l’application des règles d’étape. Pour mémoire, la moyenne des émissions de C02, aujourd’hui réglementée par l’Europe à 95 grammes de CO2/km, doit passer à 81 g/km (moyenne de gamme) dès le 1er janvier 2025. Un pallier difficile à franchir et qui n’est pas sans grosse conséquence sur les catalogues et les ventes. Pour éviter les grosses amendes promises par la C.E. en cas de dépassement, il faudrait que les électriques constituent 25 % des ventes, qui n’atteignent que 15 % en France. Lee marché du VE recule dans l’Hexagone mais aussi en Europe, pour des questions de baisse des incitations (voire leur suppression en Allemagne), mais aussi de tarification. Les Français, et l’Europe élargie, ne veulent ou ne peuvent pas payer 40 000 € pour une polyvalente électrique, ce qui correspond aujourd’hui au prix d’un Peugeot E-2008 ou d’une Renault Mégane E-Tech bien équipés.
Forts de ce constat, les grands groupes qui sont membres de l’ACEA (Association des Constructeurs Européens Automobiles), notamment Renault et Volkswagen (Stellantis a cessé de cotiser fin 2022) ont demandé à l’Europe de décaler de deux ans l’application des règles de 2025. Mais on ne voit pas les choses du même œil du côté de Stellantis. Carlos Tavares, le patron du groupe, s’est pourtant longuement opposé à la mise en place de règles trop contraignantes pour l’industrie automobile.
Il répète depuis des années que les voitures électriques ne se vendront pas si elles restent trop chères. Aujourd’hui, il semblerait que « Le dogmatisme des décideurs européens s’est brisé sur le mur de la réalité » a indiqué le patron de Stellantis à l’Agence France Presse. « On est dans un système où le régulateur veut que les consommateurs achètent ces voitures, et le consommateur dit non merci, pas à ce prix-là. Mais maintenant on a les bagnoles, on s’est organisé pour faire les ventes nécessaires, on souffle dans le cou de Tesla. Et on nous dit qu’il va y avoir des catastrophes. Mais il fallait y penser avant, non ? »
Certains constructeurs ont déjà les bons produits, les autres un peu moins…
Il est exact que Stellantis, au travers de ses différentes marques grand public, est aujourd’hui l’un des seuls à avoir réagi rapidement. Il propose un large choix de modèles multi-énergie, et à bon prix si on en croit le récent catalogue Citroën (par exemple) avec les nouveaux C3 et C3 Aircross. Si on regarde du côté de Volkswagen, c’est l’inverse : les voitures sont toujours chères, et l’annonce de modèles accessibles, promis à 25 000 €, ne sera pas suivie d’effet avant au moins deux ans. D’où la demande du géant allemand auprès des instances européennes. Pour Renault, la démarche est un peu différente car le groupe a Dacia, mais il est vrai que les modèles accessibles tardent aussi à arriver. La fameuse Renault 5 à 25 000 € n’existe pas, du moins pour le moment. Elle viendra plus tard, avec un moteur et une batterie de plus petite taille, mais pour l’instant il faut plutôt débourser 33 490 € pour s’offrir ce véhicule de 3,92 m de long.


Pour Stellantis, qui sait qu’il a une carte commerciale à jouer avec sa gamme actuelle, il faut maintenir les décisions prises : « du point de vue de la concurrence si chère à l’Union européenne, il serait surréaliste de changer les règles maintenant », continue Carlos Tavares. « Tout le monde connaît les règles depuis longtemps, tout le monde a eu le temps de se préparer, et donc maintenant on fait la course. »

Reste à savoir qui gagnera cette course, et notamment sur le long terme. Ce qui est sûr, c’est que la bataille est autant industrielle que politique. Quant à l’assouplissement des règles de 2025, beaucoup d’autres constructeurs disent que cela serait une bonne chose. Si le « 81 g » passe, beaucoup pourraient décider de réduire leurs catalogues pour éviter les émendes, ce qui causerait en cascade une perte des ventes, un appauvrissement du choix automobile, et un risque de pertes d’emploi. A noter que Volkswagen envisage déjà la suppression de 20 000 postes dans le monde et la fermeture de deux usines en Allemagne.
Au-delà des lobbies, l’Europe technocratique tirera-t-elle un jour les conséquences de son manque de connaissance des dossiers ?