
Supercars de Légende : Ford GT90, son design en héritage
Certains constructeurs se sont autorisés quelques excentricités, qui vont au-delà de la simple voiture de sport. Cumulant tous les superlatifs, ces véhicules héritèrent d’un patronyme : les Supercars. Démesurées, surpuissantes, excentriques, rapides, spectaculaires, produites ou restées à l’état de concept-car, rien ne les rend pratiques au quotidien. Et pourtant, elles ont fait rêver d’innombrables gamins… ou propriétaires envieux de passer au stade supérieur. Voici l’histoire de l’incroyable Ford GT90.
Texte : Gaël Angleviel / Images : Ford Motor Company
La Ford GT90 éclipsa la concurrence au Salon de Détroit 1995
Au début du mois de janvier 1995, se tient le Salon de Détroit. L’une des grandes messes de l’automobile chère aux constructeurs américains. L’occasion pour les grandes firmes d’y dévoiler leurs nouveautés en production ou de faire rêver avec des concepts-cars. Ce sont ces derniers qui animent l’impatience des fans de l’automobile, mais aussi des journalistes. Quel constructeur y dévoilera une surprise ? Et dans les années 90, sans internet, le secret était bien souvent gardé jusqu’au dernier moment. Depuis, les sites internet et les réseau sociaux ont cassé cette magie… Certains bien informés souhaitant leur petite heure de gloire : autre temps, autres mœurs…
Situé dans le Michigan, Détroit (Detroit en VO) est (était) littéralement le siège du « Big Three » de l’époque (les 3 géants de l’automobile d’alors : General Motors, Ford et Chrysler). Dans les années 1930, la ville héritera de son surnom : « The Motor City ». Plus que les autres Salons automobiles du monde entier, les firmes américaines veulent briller à domicile, dont Ford. En ce tout début de mois de janvier 1995, les routes sont glacées, les trottoirs enneigés, une température de -5°C accueille la foule, mais rien qui ne puisse refroidir leur passion.
Comme à l’accoutumé, certains dirigeants de groupes déroulent un discours corporate et plat. Heureusement, une pléthore de nouveautés attendent le chaland, mais l’une d’elles fit sensation : la Ford GT90. Avec un V12 quad-turbo de 720 ch greffé dans le dos, ses 378 km/h en pointe, lui permirent de recueillir tous les suffrages. D’un coup, Ford captivait les journalistes, les rédacteurs bouleversaient leurs unes. Par conséquent, tout était éclipsé par cette supercar sensationnelle au logo bleu. La marque n’avait pas connu pareille réaction depuis la GT40, en 1964.
Ford en plein crise d’identité…
D’ailleurs, les passionnés d’automobiles en redemandaient. Alors, pourquoi Ford n’a-t-elle pas produit la GT90 éblouissante ? Au début des années 90, le design de la marque n’était pas l’argument premier pour un achat coup de cœur. Heureusement pour Ford, ses concurrents produisaient aussi des voitures au style assez fade. Et l’Ovale Bleu avait déjà écorné quelques mythes, comme la Mustang de 3ème génération dès la fin des années 70. Sur le marché américain, l’Escort n’était qu’une Mazda 323 relookée, sans personnalité. Pendant ce temps, l’Escort européenne était démolie par les critiques, accusant Ford de prendre ses clients pour des naïfs incapables de voir un produit bâclé.
Peu d’acheteurs choisissaient Ford pour son style au milieu des années 1990. La marque était encore loin des éclairs de créativité comme la Ka ou la Puma. Ainsi, des deux côtés de l’Atlantique, les critiques pleuvaient sur le coup de crayon de Ford. Par ailleurs, les constructeurs japonais gagnaient du terrain à l’export avec des lignes plus modernes. Mazda, par exemple, semblait lancer un nouveau modèle séduisant chaque année depuis 1990. Mais un homme fut missionné de changer cette vision d’un design trop timide, voire bâclé. Jack Telnack fut chargé de mettre fin à cette mentalité frileuse qui bridait Ford. En tant que vice-président du design, il portait la responsabilité de créer des modèles visuellement attrayants. Il savait parfaitement qu’un changement radical s’imposait. Le conseil d’administration avait exigé une nouvelle orientation stylistique. Telnack savait par où commencer et à qui s’adresser.
L’heure de changer de visage
Pendant des décennies, Ford avait fonctionné avec plusieurs studios indépendants chargés de créer des voitures « différentes ». Il y avait Ghia, à Turin, capable de produire des prototypes uniques et défiant les logiques imposées. Ensuite venaient les studios Advanced Design au Royaume-Uni, en Allemagne et à Détroit, ainsi que le studio « International » où une équipe américaine concevait des modèles pour d’autres marchés. C’est là qu’était née la Ford Capri dans les années 1960 (Nouvelle Ford Capri à l’essai ici).
Les studios International et Advanced, ainsi que Ghia en Italie, étaient dirigés par un Écossais : Tom Scott. « Il comprenait les enjeux techniques, adorait l’aérodynamique et trouvait toujours des idées nouvelles et futuristes », se souvient Patrick le Quément, ancien patron du design Renault et collègue de Scott chez Ford dans les années 1970. À cette époque, Scott avait dessiné la célèbre Escort RS2000 à nez proéminent, avant de partir aux États-Unis comme designer en chef chez American Motors (Jeep), puis de rejoindre à nouveau son ancien patron, Jack Telnack, chez Ford à Détroit.
Scott se remémore le dilemme. « Toutes nos études montraient qu’il fallait être différent, mais que signifiait vraiment “différent” ? Il y avait des tendances et des idées partout, mais je savais une chose : nous ne pouvions plus continuer avec ce thème de calandre ovale collée sur ces voitures en forme de dragée qui ressemblaient à un cigare flottant. » Tom Scott comprit que l’équipe devait être libérée des contraintes habituelles. Il fallait oublier l’évolution d’un modèle existant, laisser de côté les études de marché. La solution était d’imaginer une voiture que Ford ne fabriquait pas encore, comme une voiture de course adaptée à la route. Ainsi, l’esprit des designers serait libéré, la créativité circulerait et des idées excitantes pourraient naître. Du moins, c’était l’espoir.


