Le radar, la carte grise et l’enfant

L’instauration du permis à points en France a provoqué l’imagination fertile des juristes et des automobilistes. C’est le cas d’un couple du Sud de la France, parents d’un enfant de 4 ans, surnommé Lucas pour l’occasion, qui ont profité de la largesse de la règlementation concernant l’établissement des certificats d’immatriculation pour se mettre à l’abri de nombreuses contraventions au Code de la route.

Carte grise au nom d’un enfant

En effet, l’Arrêté du 5 novembre 1984 relatif à l’immatriculation des véhicules précise que le certificat d’immatriculation n’est pas un titre de propriété mais seulement un titre de circulation ; c’est pourquoi son article 2 autorise l’immatriculation d’un véhicule au nom d’un mineur.

A l’origine, cette disposition visait les jeunes gens qui souhaitaient immatriculer à leur nom un véhicule peu avant de passer leur permis de conduire. Mais le pouvoir réglementaire n’a pas fixé d’âge minimum requis pour bénéficier de cette possibilité.

L’idée est alors venu pour certains parents de faire établir un certificat d’immatriculation au nom d’un enfant mineur, qui par définition n’est pas titulaire d’un permis de conduire, permettant ainsi d’échapper aux responsabilités encourues en cas d’infraction au Code de la route.

Parade totale ?

La question ne se pose en réalité que s’il n’y a pas eu interception du véhicule. En effet, si l’auteur est verbalisé au bord de la route, il va de soi qu’il ne verra jamais un mineur de 4 ans à son bord. Le véritable conducteur sera identifié et c’est lui qui sera pénalement poursuivi.

Plus intéressante est l’hypothèse de la responsabilité pécuniaire (non pénale) lorsque le véhicule se fait, par exemple, flashé.

Rappelons que l’article L. 121-3 du Code de la route dispose que « par dérogation aux dispositions de l’article L. 121-1, le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de l’amende encourue pour des contraventions à la règlementation sur les vitesses maximales autorisées, sur le respect des distances de sécurité entre les véhicules, sur l’usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules et sur les signalisations imposant l’arrêt des véhicules, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu’il n’apporte tous éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction. ».

En clair, c’est Lucas qui va recevoir l’avis de contravention, son père qui va le contester et il n’aura pas de mal à démontrer à l’Officier du Ministère Public que son fils ne touche même pas les pédales du véhicule en question et qu’il ne peut donc pas être l’auteur véritable de l’infraction.

Celui qui conteste la contravention n’étant, en dehors des véhicules de société pas tenu de dénoncer le véritable conducteur du véhicule, le tour est joué : pas de responsabilité pénale parce que l’auteur n’est pas identifié et pas de responsabilité pécuniaire parce que la preuve que le titulaire de la carte grise ne peut pas être l’auteur de l’infraction est suffisamment rapportée.

Mais voyant le nombre d’infractions imputables au conducteur du véhicule en question s’accroitre progressivement depuis l’été 2010, le juge de proximité d’Antibes a finalement décidé de convoquer le titulaire de la carte grise. C’est alors qu’il a découvert qu’il s’agissait d’un enfant de 4 ans.

Comment ça marche ?

L’Arrêté du 5 novembre 1984 relatif à l’immatriculation des véhicules précise que le certificat d’immatriculation n’est pas un titre de propriété mais seulement un titre de circulation ; c’est pourquoi son article 2 autorise l’immatriculation d’un véhicule au nom d’un mineur. Les parents ne se sont pas déplacés à l’audience et le tribunal ne put donc que les relaxer pour la grande majorité des infractions. Cependant, l’enfant fut condamné en tant que pécuniairement responsable à la modique somme de … 23 000 euros !

Deux questions se posent.

– L’enfant pouvait-il être condamné à une amende même si le texte nous dit qu’il ne s’agit pas d’une condamnation pénale ?

– Les parents ne sont-ils pas responsables du fait de leurs enfants mineurs ?

Concernant le premier point, il faut se reporter à l’Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante qui dispose en son article 21 alinéa 2 :

« Sous réserve de l’application des articles 524 à 530-1 du Code de procédure pénale, les contraventions de police des quatre premières classes, commises par les mineurs, sont déférées au tribunal de police siégeant dans les conditions de publicité prescrites à l’article 14 pour le tribunal pour enfants. Si la contravention est établie, le tribunal pourra soit simplement admonester le mineur, soit prononcer la peine d’amende prévue par la loi. Toutefois, les mineurs de treize ans ne pourront faire l’objet que d’une admonestation ».

Au regard de ce texte, le Tribunal de proximité d’Antibes ne pouvait donc condamner le jeune garçon de 4 ans à verser le moindre euro.

En réalité, ce n’est que lorsque Lucas atteindra sa majorité que les poursuites pourraient être reprises. Mais la peine d’amende à laquelle il a été condamné sera alors très probablement prescrite en application des dispositions de l’article 133-4 du Code pénal qui dispose que les peines contraventionnelles se prescrivent par trois années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive. Peu de chance en effet que l’Etat soit assez diligent pour effectuer un acte interruptif de prescription tous les trois ans afin de préserver sa créance !

Concernant la question de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, cette responsabilité n’existe que sur le plan civil lorsque l’enfant cause un dommage à autrui ce qui ne correspond pas au cas d’espèce.

Quelles conclusions tirer de ce qui précède ?

1 – La faille est réelle puisque in fine le mineur comme les parents échappent à toute condamnation.

2 – L’exploitation de cette faille ne va pas sans quelconques désagréments.

D’abord, certains parents peuvent voir d’un mauvais œil que des avis de contravention ou des actes d’huissiers soient libellés au nom d’un enfant qui n’a rien demandé…

Ensuite, dans le cas où le conducteur serait reconnaissable sur le cliché, l’officier du ministère public pourrait être tenté de poursuite, en cas de contestation, les parents. A l’audience, la juridiction de proximité pourrait également se montrer quelque peu agacé par la manœuvre et demander un complément d’information… Et il n’est jamais agréable de voir des policiers ou des gendarmes débarquer chez soi pour vérifier si la personne qui se trouve sur le cliché cinémométrique est bien celle qui ouvre la porte… Il est vrai aussi que le véhicule pourrait être, à certaines conditions liées au consentement de l’intéressé, immatriculé au nom d’un mineur qui n’est pas forcément le fils ou la fille du véritable propriétaire du véhicule rendant alors le résultat de l’enquête beaucoup plus aléatoire.

Cet exemple dont la presse s’est fait l’écho est en tout état de cause une nouvelle illustration de ce que le droit et la morale ne font pas toujours bon ménage… Jusqu’à une éventuelle intervention du législateur que les automobilistes les plus audacieux espèrent sans doute la plus lointaine possible.

Jean-Charles Teissedre

Avocat au barreau de Montpellier

www.teissedre-avocats.com