Stupéfiants au volant : existe-t-il un seuil de tolérance ?

LA LOI

Boire de l’alcool, en soi, n’est pas interdit. Conduire en ayant bu, non plus, à condition de ne pas dépasser le maximum légal qui est comme chacun sait de 0,5 g/l de sang.

En revanche, consommer des stupéfiants, sauf prescription médicale, est interdit. Il s’agit d’un délit puni par l’article L.3421-1 du Code de la santé publique d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.

Conduire en ayant fait usage de stupéfiants est également puni. Il s’agit d’un autre délit, puni par l’article L.235-1 du Code de la route d’une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 4500 euros d’amende (il s’agit là de maxima).

Tout cela appelle quelques questions…

– Est-il pour autant juste de condamner une personne pour avoir conduit un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants 2, 3 jours, une semaine, un mois ou plus avant d’avoir pris le volant ?

– Doit-on mettre sur le même plan la détection de quantités infinitésimales dans le sang de produits stupéfiants témoignant, dans le pire des cas, d’une consommation très ancienne et des taux significatifs témoignant d’une dangerosité réelle pour autrui ?

– Ne distingue-t-on pas, en matière d’alcool, outre le maximum légal, les taux inférieurs, égaux ou supérieurs à 0,8 g/l de sang pour déterminer la nature contraventionnelle ou correctionnelle de l’infraction ?

A l’évidence, l’objet de la sanction en ce domaine est de sanctionner les conducteurs dont le comportement au volant est influencé par l’alcool ou les stupéfiants. D’ailleurs, ne parlait-on pas, avant les lois du 12 juin 2003 et du 17 mai 2011, de conduite « sous l’influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants » et non pas de conduite « en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants » comme c’est le cas aujourd’hui ?

LA SCIENCE

Les scientifiques sont également de cet avis puisqu’un consensus national de la société française de toxicologie analytique considère qu’en deçà d’un certain taux, l’usage est trop ancien pour être significatif et qu’il est alors possible de ne déterminer ni le moment de l’utilisation ni la quantité absorbée.

Ainsi, pour prendre l’exemple du cannabis, l’arrêté du 5 septembre 2001, qui a repris les constatations des experts, indique que le seuil minimum de détection du THC (tétrahydrocannabinol) qui est le principe psycho actif du cannabis, est de 1 ng /ml de sang . En deçà de ce taux, aucune conclusion ne peut être sérieusement tirée.

LA JURISPRUDENCE

La chambre criminelle de la Cour de cassation n’est pourtant pas de cet avis. Pour elle, la seule présence de stupéfiants dans le sang suffit à tomber sous le coup de la loi pénale. C’est ce qu’elle a réaffirmé dans un arrêt du 8 juin 2011 en sanctionnant le raisonnement de la Cour d’appel d’Angers qui se basait sur les conclusions des scientifiques pour étayer son raisonnement et fonder la relaxe du prévenu.

Interprétation stricte de la loi ou interprétation contestable ? Selon nous, la position de la Cour de cassation, outre qu’elle ait des conséquences excessives, est contestable.

En effet, le Conseil constitutionnel s’est récemment prononcé sur la constitutionnalité de l’article 235-1 du Code de la route dans une décision du 9 décembre 2011. Certes, la disposition a été jugée constitutionnelle, mais le Conseil constitutionnel a expressément déclaré qu’il « appartient au pouvoir règlementaire, sous le contrôle du juge compétent, de fixer, en l’état des connaissances scientifiques, médicales et techniques, les seuils minima de détection témoignant de l’usage de stupéfiants ».

Les juges de la rue Montpensier s’en remettent donc à la science et au pouvoir règlementaire. Or, comme nous l’avons vu, il existe bien un arrêté du 5 septembre 2001 « fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route ».

CONCLUSIONS

Pourquoi donc ne pas utiliser cet arrêté comme l’ont fait de nombreuses juridictions jusqu’alors? En tout état de cause, l’argument mérite d’être soulevé devant les Tribunaux pour obtenir une relaxe sur ce fondement.

Car disons le franchement, si l’on veut sanctionner l’usage de stupéfiants, il faut d’une part le prouver, et d’autre part viser le bon texte.

L’usage de stupéfiants et la conduite d’un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants sont deux textes différents qui obéissent à des définissions et à des règles de procédure différentes. Sans parler des peines qui ne sont pas du tout les mêmes !

Il revient donc à l’autorité de poursuite de qualifier l’infraction correctement et à l’institution judiciaire de savoir distinguer en fonction des situations.

Heureusement, la Cour de cassation a récemment rendu un arrêt du 15 février 2012 qui nous semble plus respectueux des droits de la défense. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Dijon avait constaté l’irrégularité de la procédure de contrôle de stupéfiants. Le prévenu avait toutefois été condamné au motif que l’intéressé avait reconnu durant sa garde à vue avoir fumé un joint. La juridiction suprême sanctionne fort justement ce raisonnement en rappelant que l’infraction de conduite d’un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants prévue et réprimée à l’article L.235-1 du Code de la route ne peut être prouvée que par analyse sanguine. Rien que de très normal bien que la solution aurait peut-être été différente du temps, pas si lointain (et que nous espérons révolu), où des aveux fumeux suffisaient à asseoir une condamnation…

Jean-Charles Teissedre

Avocat au barreau de Montpellier

www.teissedre-avocats.com