Moteurs de bateaux : quelles pistes pour la décarbonation ?

Le monde de l’automobile a été contraint de faire sa révolution technologique afin de réduire les émissions de carbone. Cela passe, pour le moment, par la voiture électrique qui, en moyenne, sur son cycle de vie (fabrication, alimentation…) émet 60% de CO2 en moins que son homologue thermique (source : BMW). Beaucoup d’autres secteurs se préparent à en faire autant. Mais que nous réserve le monde du nautisme et ses moteurs thermiques en matière de décarbonation ?

Une décarbonation nettement plus complexe

Utiliser l’électricité pour permettre à un bateau à moteur de se déplacer est bien plus complexe que pour une voiture pour plusieurs raisons :  

  • L’efficience :
    Si un pneu transmet la quasi intégralité de la force qui lui est allouée par la transmission pour avancer, dans la limite de son adhérence, il en va autrement d’une hélice qui affiche entre 50 et 75% de rendement. Il y a déjà là une grosse déperdition d’efficience.
  • Le poids des batterie :
    Pour atteindre une autonomie équivalente à celle d’un moteur thermique, il faut emporter beaucoup de batterie dont le poids peut-être incompatible avec la taille du bateau. Et qui dit poids dit besoin en énergie supplémentaire pour avancer. C’est un cercle vicieux à ce stade de la technologie des batteries.
  • L’implantation des batteries et la sécurité :
    A ce jour, il n’y a pas beaucoup d’échange entre les fabricants de moteur et les chantier naval car l’intégration d’un moteur thermique, de ses commandes et de son réservoir de carburant est relativement simple. Mais demain, la taille des batteries et les normes de sécurité vont nécessiter une plus grande coopération entre eux.
  • La recharge :
    C’est peut-être sur ce chapitre que le bateau électrique est moins contraignant que la voiture selon l’usage qui en est fait. En effet, le plaisancier type passe souvent une journée en mer, retourne au port et reprend son bateau plusieurs jours plus tard. Dans ce cas, une recharge, même lente sur une simple prise de courant, n’est pas pénalisante. Un système de gestion de l’énergie qui coupe l’alimentation une fois la recharge terminée est relativement simple à mettre en place. Il en va autrement de ceux qui font du cabotage sur une semaine par exemple…
  • L’autonomie :
    Le match est totalement inégal à ce jour. Un moteur de 300 chevaux, électrique, n’aura presque aucun intérêt si, utilisé pour une navigation rapide, il ne peut proposer que 30 minutes d’autonomie et demande 8 heures pour une recharge complète de sa batterie.
  • Le retrofit :
    Voilà un domaine qui, à ce jour, est particulièrement complexe. L’intégration des batteries est souvent impossible sur un vieux bateau. Ce qui, de facto, exclu une grande partie de la flotte en circulation de toute forme de conversion. En plus, le coût d’une telle modification (on parle de 50 000 euros pour un petit moteur et sa batterie) rend l’opération totalement irréaliste économiquement.

    Malgré toutes ces difficultés, il va bien falloir trouver une solution… 

Les grandes marques sur le pont

Guillaume Vuillardot

Des marques bien connues des amateurs de voitures sont aussi des fabricants de moteurs de bateaux. Parmi elles, on trouve Honda et Suzuki qui sont en en train de préparer le futur de la mobilité maritime et fluviale. 

Guillaume Vuillardot, directeur de l’activité Suzuki Marine France, présent aux voiles de St Tropez dont Suzuki est partenaire, explique que la marque japonaise a pleinement conscience des enjeux mais aussi de la complexité que représente la décarbonation du monde de la plaisance comme évoqué plus haut. En attendant de commercialiser des solutions, Suzuki mise sur un équipement dont elle dote les nouveaux moteurs DF115B et DF140B : le collecteur de microplastiques. Directement monté sur la structure du moteur, ce système innovant permet de récolter les déchets flottants en navigant par filtration de l’eau destinée au refroidissement du moteur. 

Le programme environnemental du Suzuki repose aussi sur la réduction des déchets plastiques à la source : 11,2 tonnes de matière plastique ont ainsi été économisées depuis octobre 2020 dans le processus industriel de Suzuki. En aval, grâce à la mobilisation de plus de 10 000 personnes depuis 2010, les campagnes Clean Up permettent de collecter les déchets sur les rivages et littoraux du monde entier. 

Mais on sent bien que la complexité du passage du thermique à l’électrique met à rude épreuve les méninges des ingénieurs. Seule un rupture technologique (poids et capacité des batteries en net progrès) pourra permettre d’accélérer les choses. 

BlueNav et Cupra

Hugo de Malherbe

Face aux géants de la motorisation, on voit apparaitre de petites structures qui tentent de tirer leur épingle du jeu. 

Ainsi, Hugo de Malherbe, directeur commercial de BlueNav, fabriquant de moteurs hybrides et électrique pour bateaux basé à Arcachon, explique que « nous estimons la transition entre le thermique et l’électrique à 10 ou 15 ans. » BlueNav ne développe pas ses propres batteries et travaille avec des fournisseurs que la société  recommande à ses clients. C’est dans le cadre du bateau « Cupra » (oui la marque de voiture) que BlueNav vend le moteur électrique à De Antonio (le chantier naval) qui utilise des batteries venant de chez Cupra. De Antonio implémente les moteurs thermiques et électriques sur sa chaine de montage pour proposer départ usine, à ses clients, l’option hybride.

Hugo de Malherbe constate que « l’industrie du nautisme est très liée à l’automobile. Mais le monde du nautisme est très conservateur. Toutefois il y a une vrai prise de conscience. Cette année, au salon de Cannes il n’y a pas beaucoup de bateaux électriques mais l’an dernier il y en avait encore moins. Il y a une demande qui explose en France mais surtout à l’étranger car les  règlementation viennent du nord de l’Europe. Certains pays ont déjà interdit certaines zones de navigation au thermique ce qui a nécessité la création de bateaux électriques. » Mais le plus important à ces yeux est qu’il ne faut pas consommer l’électricité comme le thermique. « Il faut acculturer la plaisance pour la faire changer son approche de la navigation. On en peut pas, si on veut protéger les fonds marins, continuer de naviguer à 30 noeuds pour aller d’un point À à un point B sauf raisons professionnelles ou sportives. Même s’il peut y avoir aussi un plaisir à naviguer ponctuellement à ces vitesses. » 

A ce stade, BlueNav propose une solution vient en complément de la motorisation thermique et qui permet d’évoluer à basse vitesse. Mais le plus important est que « certaines institutions prennent conscience des enjeux et nous avons besoin de subventions pour accompagner les particuliers à faire leur transition. » Un peu comme l’Etat l’a fait avec le jeu du bonus/malus pour les voitures.

Pinball Boat et l’hybridation d’un moteur V8

Pascal Duclos

En 2016 est née Pinball Boat, « start-up » qui mène une réflexion sur la propulsion électrique et les nouveaux usages de la plaisance. Elle est issu de l’association de Goupil Industrie, leader du véhicule électrique dont Pascal Duclos était le créateur-dirigeant, et d’un groupe d’ingénieurs. Pinball fabrique dans son usine la gamme des bateaux de pêche Ostréa des anciens chantier Ocqueteau et son bateau électrique-hybride.

Basée à Arcachon, comme BlueNav, elle travaille sur l’architecture navale, la mécanique des fluides, l’électrotechnique et l’informatique embarquée. Ce qui a donné naissance à un « ONNI », Objet Navigant Non Identifié. 

Je parle d’ONNI car il n’a pas juste s’agit de faire un bateau hybride mais de mener une réflexion globale à la fois sur l’architecture (un catamaran), la gestion de la place à bord (avec un couchage caché sur le pont et fermé ! ) et la motorisation. Sur ce dernier point, Pascal Duclos et son équipe ont opté pour un moteur in bord qui est épaulé par un moteur électrique. C’est une solution hybride qui repose sur un V8 thermique essence in board de 350 chevaux et 2 moteurs électriques de 8 Kw avec une une batterie de 80kWh qui correspond à 24 litres d’essence. « L’électricité sert au déplacement à petit vitesse, le mode déjaugé se fait en thermique. La recharge s’opère sur une prise électrique 16 ou 32 ampères et il faut 5 heures pour récupérer 20 kWh » explique Pascal Duclos, qui ajoute « on peut recharger avec le thermique et cela passe presque inaperçu sur la consommation. Ce dernier consomme beaucoup à froid et lors des petites manœuvres au port mais ces phases sont réduites grâce à motorisation électrique. En plus, grâce aux tuyères, on gagne en manœuvrabilité » 

Et si on oubliait l’hélice avec FinX ?

Eugenie Guillemin

L’idée n’est pas de ressortir les rames ou de hisser les voiles pour faire de la décarbonation mais bien d’avoir une approche totalement différente de la solution qui permet de transformer l’énergie en mouvement. Avec sa solution FinX, innove. 

Eugenie Guillemin, CMO de Finx, ne cache pas les ambitions de l’entreprise familiale fondée en 2019 puisque « nous aimerions remplacer l’hélice grâce à notre technologie de pompe à membrane ondulante qui propose une mobilité sécurisée et safe pour la bio diversité. »  Tout a commencé avec un petit moteur hors-bord  de 2kw / 5 chevaux destiné aux petites embarcations et voiliers jusqu’à 3 tonnes qui sera livré dans les prochaines semaines aux premiers clients. En parallèle, FinX commence le développement d’un moteur de 120 kw, soit 150 chevaux, qui permettra de transporter des athlètes et passagers lors des jeux olympiques de Paris en 2024. 5 bateaux seront ainsi équipés. La commercialisation interviendra dans la foulée. 

Le moteur pour petit bateau est proposé à 3 200 euros TTC, ce qui est plus cher qu’un moteur thermique mais dans la même gamme de prix que les moteurs à hélice électriques. La batterie séparée permet de naviguer 1h30 à pleine puissance et 6 heures en marche normale selon FinX. Une fois déchargée, on peut la ramener chez soi et la charger sur une prise de courant classique.

« Nous avons échangé avec des constructeurs de moteurs thermiques à Amsterdam l’an dernier pour envisager l’utilisation de notre brevet de membrane ondulante » fait observer Eugenie Guillemin qui ajoute que le remplacement d’un moteur thermique déjà présent sur un bateau par un électrique fait partie des ambitions de la marque. A ce stade, les calculs réalisés laissent penser que, à puissance équivalente, les moteurs thermiques et électriques devraient offrir les mêmes performances. A vérifier une fois le moteur disponible. Il sera aussi possible d’utiliser cette technologie pour des moteurs in bord. 

Philippe HORTAIL