Sebring 2022 : le super week-end de Tony Ménard

Le directeur de Michelin Motorsport pour l’Amérique du Nord nous a reçu dans le cadre du Super Sebring, qui réunissait à la fois l’ouverture du championnat d’Endurance FIA-WEC et les 12 Heures de Sebring, seconde manche du championnat IMSA.

Ne cherchez pas, aucun week-end de course de niveau mondial ne met autant de pilotes et de voitures en scène. Après les 24 Heures de Daytona et ses 137 voitures, le week-end de Sebring vient de rassembler 167 bolides. Pour Michelin, qui équipe 100 % du plateau en IMSA et l’immense majorité du FIA-WEC (seule la catégorie LMP2 lui échappe au profit de Goodyear), cela représente le déplacement de 15 000 pneus. C’est deux fois plus que pour la totalité de l’organisation des 24 Heures du Mans. Tony Ménard, directeur de la branche Motorsport de Michelin pour l’Amérique du Nord, revient sur cette impressionnante organisation.

Un tel week-end de course, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Tout simplement la plus grosse manifestation de course automobile à laquelle participe le groupe Michelin dans le monde. Nous étions un peu plus nombreux à Daytona car il s’agissait d’une course de 24 heures et nous devions respecter le repos de chacun. ici nous sommes environ 80 personne sur site, avec la plus grosse surface de montage jamais montée, soit 2 200 m2. 

Où sont fabriqués les pneus que vous utilisez en course ?

Tout vient de Clermont-Ferrand, sans exception. Ce qui représente un défi logistique important, car la situation a été complètement chamboulée au cours des deux dernières années. Avant mars 2020, il aurait fallu 4 à 6 semaines, dont 20 jours de transport maritime pour approvisionner une course comme celle-ci. Mais plus on avance dans le temps, et plus il est difficile de prévoir quoi que ce soit. Le groupe Michelin est habitué à envoyer et à recevoir beaucoup de containers. Mais même les principales compagnies maritimes avec lesquelles nous travaillons rencontrent des difficultés. Les demandes sont tellement fortes qu’il y a une pénurie de containers au niveau mondial. L’effet de la pandémie sur le personnel dans les ports ou dans les centres logistiques a été énorme. Il y a par ailleurs un vrai manque de chauffeur poids lourd. Aujourd’hui, un chauffeur peut se recruter à 150 000 dollars par an, soit environ 140 000 €. C’est très compliqué mais nous tenons bon.

Comment vous organisez-vous face à ces nouvelles dispositions ?

Nous anticipons davantage la production et la logistique. Pour Daytona, qui se tient fin janvier, nous avions commencé à envoyer des pneus vers septembre 2021. Pour ce week-end à Sebring, nous avons débuté les expéditions fin décembre-début janvier. Les derniers containers sont arrivés la semaine dernière. Ce qui est malheureux, c’est que la situation empire de jour en jour et qu’on ne contrôle absolument rien. 

Avez-vous déjà réfléchi à produire vos pneus de compétition aux États-Unis pour le marché américain ?

C’est un sujet qu’on aborde régulièrement, et le groupe Michelin essaie d’avoir des productions au plus près des marchés. Mais le monde du sport automobile est spécifique. Nous avons des produits techniques qui requièrent des expertises et des moyens de production particuliers. Ils sont difficilement reproductibles à l’international. C’est aussi un choix d’entreprise.

Est-ce que l’engouement pour l’Endurance aux États-Unis se perçoit déjà dans le business de Michelin sur place ?

Il y a des effets bénéfiques, sans aucun doute. Le levier de l’IMSA sur notre business en Amérique du Nord est assez important. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes partenaires. Tout ce qui a pu se passer depuis 2020, la convergence des catégories et le fait que l’IMSA prenne beaucoup d’initiatives va dans le bon sens. Les constructeurs ont suivi, et quand on voit le nombre d’annonces qui sont faites, notamment en GT3, on se dit que la période va être formidable. Ford et Corvette face-à-face, c’est quelque chose de très fort d’un point de vue marketing. Il y a 18 constructeurs dans le championnat, qui comptent aussi utiliser le rapprochement avec le WEC pour tenter d’aller aux 24 heures du Mans.

Est-ce que l’IMSA sert de tremplin pour Le Mans ?

Clairement, d’autant que le fait d’avoir un règlement commun à partir de l’année prochaine va permettre à certaines équipes de rouler dans les deux championnats. Comme je suis né au Mans, les équipes américaines m’en parlent souvent… Le Mans fait rêver tout le monde ici. Lorsque l’écurie Acura a annoncé son programme en LMDh, je me souviens d’une discussion avec Wayne Taylor, qui voyait déjà son fils Ricky sur la ligne de départ dans la Sarthe… Grâce à l’impulsion de John Doonan, le patron de l’IMSA qui était précédemment team manager de Mazda, beaucoup de choses sont devenues possibles. La future LMDh a beaucoup du projet DPi 2.0, et côté Michelin nous avons réussi à faire progresser les mentalités sur certains sujets. C’est un travail commun et une réussite partagée.

Est-ce que le fait d’être engagés en sport automobile vous permet de vous rapprocher des constructeurs ?

Bien sûr. Il y a beaucoup de choses à faire, et notamment au travers du partage des expériences et de la dimension technique. Sur des courses comme Sebring, les conseillers que nous dépêchons auprès des écuries sont des ingénieurs issus de notre centre de recherche. Ils sont volontaires pour nous rejoindre car ils sont passionnés, mais ils apportent également une vraie valeur ajoutée à nos partenaires. Par exemple, chez Corvette Racing, les conseillers techniques d’écurie sont ce week-end les personnes qui travaillent sur le design des pneus des Corvette de série. La synergie est géniale, car d’un côté la marque est contente de les rencontrer, et d’un autre les gens de Michelin découvrent la voiture pour laquelle ils travaillent dans une ambiance de compétition. Cela est excellent pour la relation entre nous-mêmes et nos clients constructeurs.