Il était une mauvaise foi – Calandre : hypertrophie du moi
Journaliste automobile depuis plus de 40 ans, après avoir essayé près de 2000 voitures dont 400 anciennes, Patrice Vergès se signale par sa mauvaise foi. Une rubrique qu’il a longtemps tenue à Option-Auto avant de la reprendre pour L’Agenda de l’Automobile.
L’esthétique des récentes Audi, Lexus, BMW et Citroën DS8 m’afflige. Comment peut-on aller aussi loin dans le mauvais goût ostentatoire au niveau de la calandre de plus en plus hypertrophiée ? Au fil des ans, depuis qu’Audi a relancé la mode de la calandre démesurée, beaucoup de marque premium s’y sont engouffrées. Où s’arrêtera-t-elle ? Quand il n’y aura plus suffisamment de place pour loger les phares ?
Certes, depuis la nuit des temps, la calandre a joué le rôle de visage de l’auto. Ce qu’on voit d’abord dans une voiture c’est sa calandre. Comme un visage, celle- ci donne toute son identité et sa véritable personnalité à un véhicule. Après avoir pratiquement disparu au début des années 80, les calandres ont fait leur retour en force sur nos véhicules du troisième millénaire où elles sont de plus en plus massives. Il est fini le temps des voitures sans visage !
Prédateur !
On reconnaissait une voiture à sa calandre qui entourait le radiateur. Rolls-Royce l’avait préféré en forme de temple grec de style dorique dès 1907 tandis que celle de la Bugatti s’inspirait du fer à cheval. Petit à petit, la fabrication des radiateurs imposant une forme standard donna le jour à la calandre souvent chromée décorant la face avant. Les excès ne datent pas d’aujourd’hui. Les Américaines des fifties s’habillaient d’une calandre voyante épaisse surchargées de dents chromées, faisant songer à des gueules de prédateurs marins. Une calandre agressive surgissant dans le rétroviseur, jouait un effet de domination et de peur sur l’inconscient du futur doublé. En Europe, fort heureusement, nous ne tombâmes pas dans ces excès.
Bouche béante
Au milieu des années 60, quand un vent de compétition souffla dans l’automobile, il était de bon ton d’équiper sa voiture de phares additionnels signifiant que vous étiez un conducteur qui conduisait vite la nuit puisque vous avez besoin de plus d’éclairage. Citroën sur sa mythique SM, offrit une voiture sportive dont la face avant était uniquement composée d’une rampe de phares reprise quelques mois plus tard, sur les Alpine Renault A310 à six projecteurs.
L’Audi A8 puis Q5 relancèrent la mode à la fin des années 2000 avec la calandre dites singleframe inspirée d’une bouche béante d’après Walter de Silva. Il faut comprendre que la marque Audi manquait encore d’identité face à Mercedes et BMW immédiatement identifiables à leur calandre personnalisée. Le premier Q5 lui permit de mettre la roue au sein des autres prémiums avec une certaine réussite. Hélas, avec un mauvais goût qui n’a cessé de s’affirmer au fil des années puisque Audi est devenu le symbole automobile de la réussite sociale où la volonté de paraître à dépassé celle d’être.
Suivie par Lexus et même Citroën
Audi étant devenue une marque prescriptrice, tous les constructeurs en quête d’image se sont lancés dans cette course identitaire. Tout ce qui est excessif est insignifiant dit le proverbe, mais lorsqu’on voit une calandre de Lexus ou même de DS8/DS9, il y a de quoi être affligé surtout de la part d’une marque qui avait inventé la voiture sans calandre avec la DS19. Bertoni doit se retourner dans sa tombe !
On nous expliquera que ce mauvais goût est destiné surtout à séduire des pays des Émirats ou Chinois plutôt que l’Europe. Réponse qui laisse à penser que nous, les Européens, avons bon goût et les autres, mauvais goût.
Cette colossale calandre disproportionnée reprend exactement la même philosophie que celle des américaines de sixtes. Exacerber un sentiment de domination du doubleur vis à vis du futur doublé. Hélas, la route n’est plus un circuit de vitesse comme il y a 50 ans. Doubler aujourd’hui, c’est mal ! C’est un péché mortel ! Ces calandres hypertrophiées donnent une très mauvaise image de la voiture en général à une époque où elle est systématiquement attaquée et surtout à leur conducteur. Mitsubishi vient d’adopter une calandre massive et agressive sur son nouveau L200. Les commentaires négatifs lus sur le site POA auquel je collabore, m’ont navré. Je ne pense pas que cette agressivité esthétique plaide la cause de l’automobile. Au contraire. Elle donne une image négative et narcissique de son conducteur.
Qu’Audi soit le parangon du mauvais goût ne me chagrine guère car je l’ai toujours considérée comme une marque surfaite qui emballe bien surtout des VW et des Skoda. Que BMW tombe dans ce piège avec sa nouvelle Série 7 et X7 me déçoit bien davantage. Par son passé glorieux, BMW n’avait pas de besoin de cet artifice, surtout pour une marque dont l’accroche publicitaire était il y a quelques années » La supériorité, moins on la montre, mieux elle se voit ! »
La rédaction de l’Agenda de l’Automobile rappelle que la rubrique
de Patrice Vergès s’intitule « Il était une mauvaise foi »…